THERE IS A WAR
Puisque nous sommes sujets à des hallucinations, le moins que l’on puisse faire est de tenter d’en devenir conscients. Il y a tout lieu d’observer une distance critique, de garder une position attentive, au lieu de nous exciter et de nous enthousiasmer pour cette imagerie.
Un phénomène extrême, par exemple un conflit armé, est comme la pointe d’un iceberg. Cette pointe ne saurait exister sans la base que nous alimentons constamment. Un conflit est le résultat d’un processus dans lequel nous mettons tous la main à la pâte. Au lieu de déplorer cette situation, il serait grandement utile de nous attaquer à ses causes.
Pour qu’il y ait affrontement, il est nécessaire que des belligérants soient en présence. Il est indispensable également que ces adversaires, d’une manière ou d’une autre, croient à la réalité de ce qu’ils sont et de ce qu’ils font. Que leurs motivations profondes soient d’ordre politique, économique, religieux, idéologique ou qu’ils agissent sous l’emprise de diverses pulsions plus ou moins conscientes, qu’ils recherchent le pouvoir, qu’ils agissent par goût de l’aventure et de la violence, ces ennemis doivent forcément croire à la réalité de ce qu’ils pensent être et à la réalité de ce qui les motive. Au-delà des seuls belligérants, il est indispensable qu’il y ait une très large communauté d’individus qui abondent eux aussi dans le sens de ces représentations. Ainsi, chacun d’entre nous, en acceptant d’accréditer le concept que nous sommes des individus vivant dans un lieu donné, cautionne, de facto, toutes les représentations. Nous participons à la création du théâtre où les hostilités vont pouvoir survenir : nous en portons la responsabilité.
Political world
De la même manière, si nous assistons, au sein de nos démocraties, à l’émergence d’un parti extrémiste, au discours ouvertement xénophobe, populiste, nationaliste, notre réaction première est de considérer ce que nous venons de décrire comme une réalité objective. Pourtant, nous pouvons constater que l’unique existence de ce parti se trouve sous forme d’une représentation. Mais, et c’est le plus important, cela implique que même ceux qui ne soutiennent pas ce parti, de par le fait qu’ils ne font pas l’effort d’observer comment s’élabore cette représentation, participent également à sa création.
Si nous voulons réellement agir pour empêcher ce parti de parvenir à ses fins, nous devons démonter l’illusion qui l’a généré. Nous ne pouvons nous contenter de valider cette illusion en lui opposant une autre illusion. Pour envisager une action efficace contre tous les extrémismes, il est impératif que nous commencions par démonter nos propres illusions ; sans cela, nous nous contentons de souffler sur l’incendie.
Cette analyse semble extrêmement simpliste. Que faisons-nous des raisons historiques, sociologiques, économiques, politiques, religieuses, psychanalytiques qui poussent les humains à s’entre- déchirer ? Mais, quand nous évoquons ces raisons, nous sommes dans le discours et nous croyons en sa capacité d’appréhender ce qui se produit. Si nous trouvons le moyen de nous tenir en dehors du discours, la perspective change radicalement. Un discours du plus complexe au plus simple n’est qu’un discours. En lui prêtant un autre pouvoir, nous participons de la confusion. Nous réalisons alors que le seul moyen de résoudre les crises que nous évoquons réside dans cette prise de conscience de la nature du discours.
Le combat
Et quand bien même nous reconnaîtrions l’inexistence objective des multiples divisions qui fractionnent les sociétés, concrètement, que pourrions-nous faire ? Dénoncer. Dénoncer inlassablement les illusions.
A chaque fois qu’est évoquée une problématique témoignant d’une telle division, expliquer qu’en l’acceptant telle quelle, nous participons de sa création. Expliquer que ces illusions étant alimentées par nous tous, nous avons un réel pouvoir sur elles. Nous avons le pouvoir de les démonter, car nous les avons construites et nous continuons, inlassablement, à les assembler. Nous avons le pouvoir de pulvériser les illusions. Nous avons tous un réel moyen d’action sur ce qui se produit.
Yesterday
La manière dont nous participons à la création des événements qui se déroulent de nos jours vaut également pour ceux qui se sont produits dans le passé. Nous avons vu de quelle manière, en acceptant de croire en la réalité d’une représentation, nous participons à la création de certains événements. Lorsque nous songeons à des faits historiques, notre fonctionnement est exactement le même ; nous considérons comme objective une représentation subjective que nous projetons dans le passé. En acceptant de lire l’Histoire telle que nous la lisons, nous légitimons toujours et encore les crimes qui s’y sont commis. Nous recréons toujours et encore le cadre qui les a permis.
All tomorrow’s parties
De la même manière, nous sommes également responsables de ce qui se produira dans le futur ; notre manière d’envisager ce qui est détermine ce qui surviendra. Nous nous amusons à mélanger les ingrédients indispensables aux explosions qui se produiront en tel ou tel lieu. Cette responsabilité se prolonge au- delà de la durée de notre existence. Elle conditionne également le vécu de nos descendants. Si nous ne trouvons pas le point de rupture nous permettant de rompre avec ce comportement, pourquoi nos enfants le découvriraient-ils ? Au contraire, nous leur rendons la tâche encore plus difficile en rajoutant nos couches d’illusions à ce remblai de confusions qu’est l’Histoire humaine.
Les autruches
Si nous considérons notre responsabilité face à certains épisodes de par la manière dont nous acceptons d’en prendre connaissance, pourrions-nous également être responsables de ce que nous ne savons pas et que nous ne saurons jamais ? Oui ! C’est effectivement le cas. En lisant une dépêche relative aux exactions commises par un groupe Y, nous participons à la création de ce dernier en ne considérant pas comment a émergé l’illusion d’un tel groupe. Mais si nous ne lisons jamais la presse et que nous n’avons jamais entendu parler de ce groupe, le simple fait que la communauté humaine dans son ensemble accepte de considérer comme réels des phénomènes qui ne le sont pas a permis la création de ce groupe. Même en voulant nous détourner des événements internationaux, la manière dont nous choisissons d’envisager la réalité de nos représentations – les plus anodines et innocentes – génère à large échelle la situation telle qu’elle se présente.
International Herald Tribune
Les informations, dont nous prenons quotidiennement connaissance, participent également à la construction d’une représentation de la réalité. Ces informations témoignent d’une manière subjective de se représenter le monde et légitiment encore – si besoin en était – cette lecture particulière. Il serait tout à fait possible de relater différemment certains faits. Ainsi, par exemple, la dépêche « Un militant X a commis un attentat contre la communauté Z » pourrait être transcrite par « Un phénomène participant de l’unité qui se représente comme militant X a commis un attentat contre d’autres phénomènes participant de l’unité se représentant comme la communauté Z ». Evidemment, cette dernière version est plus longue, mais elle a précisément pour mérite d’éviter des raccourcis fallacieux. Il est également évident que la première version fonctionne uniquement parce que X croit qu’il est X et que Z est Z. Z croit qu’il est Z et que X est X. Tandis que nous, qui prenons connaissance de l’information, sommes convaincus que X est X et que Z est Z. Il faut bien que, tous, nous y participions pour que cette folie soit possible. Dans cette situation, il est légitime à n’importe qui de dénoncer l’imposture, d’entamer une remise en question : c’est un devoir !
(Alain Galatis – Cela Qui Rêve )
Tags: alain galatis, conscience, éducation
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