Richard Sylvester
Le sentiment d’être une personne est si fort. Il m’a accompagné toute ma vie et c’est la plus forte des addictions. Il se manifeste de nombreuses façons.
J’ai des responsabilités, je suis un père de deux enfants, j’ai des étudiants, je suis président de ce comité très important, je peux même, peut-être, sauver la planète pendant mon temps libre.
J’ai des peurs, peut-être ai-je le cancer. Ma maison pourrait être en train de pourrir. Je pourrai finir mes jours seul, dans une seule pièce, avec la bave qui coule le long de mon menton. Peut-être que lors de mon départ en vacances, l’avion qui m’emmènera à destination, va s’enflammer.
J’ai des espoirs. Peut-être vais-je rencontrer quelqu’un aujourd’hui au café, et tomber amoureux, peut-être vais- je avoir une promotion au travail, je pourrais gagner à loterie, arrêter de travailler et enfin acheter une Ferrari.
J’ai des désirs, beaucoup sont contradictoires. J’aspire à l’intégration et à la solitude, à l’indépendance et la prise en charge, à un ressenti très profond mais aussi à rester imperturbable.
Je vis dans un état de tension, contracté par la peur des dangers et de la souffrance. Il y a la sensation écrasante que je suis ici, et tout le reste est là-bas, faisant pression sur moi. Je dois me protéger de toutes ces pressions qui peuvent me détruire. Je dois même me protéger de mes proches, peut-être même davantage de ceux qui m’ont connu alors que j’étais ouvert. Je peux être tiraillé dans diverses directions par des impulsions contradictoires. Parce que j’aspire à l’unité, je veux être proche de l’autre, je veux une relation intime, être tenu, être conforté. Parce que j’ai peur d’être envahi, je veux être séparé, distant, autonome. Aucun état ne peut m’apporter une satisfaction durable, car chaque état que je désire contredit un autre état, auquel j’aspire également. Lorsque je me sens inclus (dans la relation ou le groupe), j’aspire à la séparation. Lorsque je suis exclu, j’aspire à faire partie de la relation, ou du groupe.
Je suis vulnérable, séparé, anxieux, facilement enflammé, facilement abattu. Je passe de l’extase au désespoir, ou je reste enfermé dans une armure de non ressenti. Par-dessus tout, j’ai de nombreux souvenirs du passé et des inquiétudes et rêves pour l’avenir. J’ai des regrets, de la culpabilité, des souhaits, des « si seulement », de la timidité, de la gêne. Je suis charismatique ou timide. Je joue mes jeux, exerce mon ego, sais que j’ai raison, me justifie, et prêche pour mes croyances. Le sens de « je » est constamment créé et recréé avec chaque événement, chaque pensée, sensation et sentiment.
Il n’est pas possible d’imaginer que la vie puisse continuer sans le sens de « moi » que tout ceci puisse être vu sans personne pour le voir. On ne peut pas davantage imaginer voir qu’il n’y a personne, car qui le verrait?
Dès le premier moment de séparation, la personne a toujours été présente. Puis soudainement, en une fraction de seconde, le sens de « je » s’évanouit complètement. Il n’y a pas de diffusion graduelle et transcendantale de la personne mais sa totale disparition. Et l’inimaginable s’est passé, l’absence de soi a été vue. Le vide a été reconnu. Tous les concepts de temps et d’espace sont devenus inconsistants. Il n’y a que l’omniprésence. Ici et là-bas sont vus comme identiques.
Après cela, il est bien difficile de reprendre votre vie sérieusement…
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Oui !
Quand on oublie le « je », ne serait-ce qu’une fraction de seconde, on entrevoit la Vérité…mais quel combat…
Merci !
1 commentaire
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